Variation, organisation temporelle et traitement de la parole

Les phénomènes segmentaux et prosodiques de la parole ne sont pas indépendants les uns des autres : leur structure et leurs variations observables dépendent autant de leurs fonctions communicatives que de leurs contextes locaux et globaux.

Par exemple la forme sonore d’une voyelle dépend des sons qui la précèdent et la suivent, de la présence de l’accentuation et d’autres facteurs linguistiques (p. ex. syntaxiques ou pragmatiques) en même temps que de facteurs d’usage (p. ex. la fréquence d’occurrence du mot qui le contient, le contexte d’élocution) et de facteurs extralinguistiques (p. ex. l’état émotionnel, l’état de santé, l’âge, le sexe ou la classe sociale du locuteur et de son interlocuteur). Pour étudier le traitement de la parole en perception aussi bien qu’en production nous ne pouvons pas nous limiter à étudier les différents phénomènes et processus sous-jacents en isolation. Car, si nous voulons expliquer comment les locuteurs/auditeurs font face à la complexité inhérente à la production et à la perception de la parole, nous devons rendre compte du fonctionnement organique des différents niveaux et sous-systèmes de traitement. Dans le but d’expliquer les phénomènes de traitement de la parole comme les produits de la coordination entre plusieurs processus et/ou sous-systèmes, ce thème de recherche porte sur les principes organisationnels qui connectent les différentes dimensions et échelles temporelles qui caractérisent la communication langagière.

Etant donné que la perception et la production de la parole s’appuient sur les interactions entre des processus qui évoluent au fil du temps, l’étude des phénomènes de coordination nous permet de mieux comprendre les principes de base permettant l’interaction entre les différentes composantes du système sensorimoteur. Nous étudierons les phénomènes de coordination à plusieurs niveaux d’analyse : au niveau de la coordination entre les organes de production de la parole d’un locuteur, au niveau de la coordination motrice verbale et non-verbale (ex. liens entre motricité manuelle et articulatoire), au niveau de la coordination entre interlocuteurs. Dans le but d’identifier les principes organisateurs sous-jacents, nous analyserons comment les caractéristiques rythmiques et mélodiques de la parole émergent des contraintes phonétiques liées à la production des unités de sens. Nous examinons les liens entre production et perception de la parole et les contributions de la structure proso-segmentale à l’intégration sensorimotrice. Enfin la variation dans la parole sera étudiée à différents niveaux, en caractérisant les traits individuels et leur variation à travers différents contextes et registres et en fonction du type d’interlocuteur (p. ex. adulte vs. bébé, apprenant d’une autre langue vs. locuteur natif etc.).

Dans ces études, les méthodes classiques de l’analyse phonétique seront complétées par une nouvelle génération de méthodes permettant de manipuler et de caractériser de façon quantitative le comportement d’un système complexe multidimensionnel. Entre autres, ces études ont recours à des outils de caractérisation de systèmes dynamiques multidimensionnels (p. ex. l’analyse des récurrences, l’analyse par fractales et l’analyse des graphes), des méthodes d’analyse des séries temporelles, de capture et d’analyse de mouvement (p. ex. synchronisation sensorimotrice) et de méthodes permettant le recueil d’interactions verbales plus ou moins complexes (par ex. interfaces personne-machine). L’approche analytique adoptée s’appuie sur l’étude de la variabilité qui caractérise le comportement des locuteurs/auditeurs. Celle-ci nous informera sur la structure des relations entre les processus sous-jacents au traitement de la parole.